| Jacques Prévert (1900-1977) Le jardin Des milliers et des milliers d'annéesNe sauraient suffire
 Pour dire
 La petite seconde d'éternité
 Où tu m'as embrassé
 Où je t'ai embrassée
 Un matin dans la lumière de l'hiver
 Au parc Montsouris à Paris
 A Paris
 Sur la terre
 La terre qui est un astre.
 Je suis comme je suis Je suis comme je suisJe suis faite comme ça
 Quand j'ai envie de rire
 Oui je ris aux éclats
 J'aime celui qui m'aime
 Est-ce ma faute à moi
 Si ce n'est pas le même
 Que j'aime chaque fois
 Je suis comme je suis
 Je suis faite comme ça
 Que voulez-vous de plus
 Que voulez-vous de moi
 Je suis faite pour plaire
 Et n'y puis rien changer
 Mes talons sont trop hauts
 Ma taille trop cambrée
 Mes seins beaucoup trop durs
 Et mes yeux trop cernés
 Et puis après
 Qu'est-ce que ça peut vous faire
 Je suis comme je suis
 Je plais à qui je plais
 Qu'est-ce que ça peut vous faire
 Ce qui m'est arrivé
 Oui j'ai aimé quelqu'un
 Oui quelqu'un m'a aimée
 Comme les enfants qui s'aiment
 Simplement savent aimer
 Aimer aimer...
 Pourquoi me questionner
 Je suis là pour vous plaire
 Et n'y puis rien changer.
 Sables mouvants Démons et merveillesVents et marées
 Au loin déjà la mer s'est retirée
 Démons et merveilles
 Vents et marées
 Et toi
 Comme une algue doucement carressée par le vent
 Dans les sables du lit tu remues en rêvant
 Démons et merveilles
 Vents et marées
 Au loin déjà la mer s'est retirée
 Mais dans tes yeux entrouverts
 Deux petites vagues sont restées
 Démons et merveilles
 Vents et marées
 Deux petites vagues pour me noyer.
 Cet amour Cet amourSi violent
 Si fragile
 Si tendre
 Si désespéré
 Cet amour
 Beau comme le jour
 Et mauvais comme le temps
 Quand le temps est mauvais
 Cet amour si vrai
 Cet amour si beau
 Si heureux
 Si joyeux
 Et si dérisoire
 Tremblant de peur comme un enfant dans le noir
 Et si sûr de lui
 Comme un homme tranquille au millieu de la nuit
 Cet amour qui faisait peur aux autres
 Qui les faisait parler
 Qui les faisait blêmir
 Cet amour guetté
 Parce que nous le guettions
 Traqué blessé piétiné achevé nié oublié
 Parce que nous l'avons traqué blessé piétiné achevé nié oublié
 Cet amour tout entier
 Si vivant encore
 Et tout ensoleillé
 C'est le tien
 C'est le mien
 Celui qui a été
 Cette chose toujours nouvelle
 Et qui n'a pas changé
 Aussi vraie qu'une plante
 Aussi tremblante qu'un oiseau
 Aussi chaude aussi vivant que l'été
 Nous pouvons tous les deux
 Aller et revenir
 Nous pouvons oublier
 Et puis nous rendormir
 Nous réveiller souffrir vieillir
 Nous endormir encore
 Rêver à la mort,
 Nous éveiller sourire et rire
 Et rajeunir
 Notre amour reste là
 Têtu comme une bourrique
 Vivant comme le désir
 Cruel comme la mémoire
 Bête comme les regrets
 Tendre comme le souvenir
 Froid comme le marbre
 Beau comme le jour
 Fragile comme un enfant
 Il nous regarde en souriant
 Et il nous parle sans rien dire
 Et moi je l'écoute en tremblant
 Et je crie
 Je crie pour toi
 Je crie pour moi
 Je te supplie
 Pour toi pour moi et pour tous ceux qui s'aiment
 Et qui se sont aimés
 Oui je lui crie
 Pour toi pour moi et pour tous les autres
 Que je ne connais pas
 Reste là
 Là où tu es
 Là où tu étais autrefois
 Reste là
 Ne bouge pas
 Ne t'en va pas
 Nous qui sommes aimés
 Nous t'avons oublié
 Toi ne nous oublie pas
 Nous n'avions que toi sur la terre
 Ne nous laisse pas devenir froids
 Beaucoup plus loin toujours
 Et n'importe où
 Donne-nous signe de vie
 Beaucoup plus tard au coin d'un bois
 Dans la forêt de la mémoire
 Surgis soudain
 Tends-nous la main
 Et sauve-nous.
 Alicante Une orange sur la tableTa robe sur le tapis
 Et toi dans mon lit
 Doux présent du présent
 Fraîcheur de la nuit
 Chaleur de ma vie.
 Déjeuner du matin Il a mis le caféDans la tasse
 Il a mis le lait
 Dans la tasse de café
 Il a mis le sucre
 Dans le café au lait
 Avec la petite cuiller
 Il a tourné
 Il a bu le café au lait
 Et il a reposé la tasse
 Sans me parler
 Il a allumé
 Une cigarette
 Il a fait des ronds
 Avec la fumée
 Il a mis les cendres
 Dans le cendrier
 Sans me parler
 Sans me regarder
 Il s'est levé
 Il a mis
 son chapeau sur sa tête
 Il a misSon manteau de pluie
 Parce qu'il pleuvait
 Et il est parti
 Sous la pluie
 Sans une parole
 Sans me regarder
 Et moi j'ai pris
 Ma tête dans ma main
 Et j'ai pleuré.
 1949, dans: Paroles pour imprimer |